Thierry Souccar
30 novembre 2005
30 novembre 2005
Faire boire du lait aux Africains : 7 millions d'années d'évolution n'y étaient pas parvenu. Mais Yoplait et les banquiers d'affaires ont décidé de corriger cette anomalie.
Il y a quand même des gens qui ont des idées formidables. Comme faire boire du lait aux Africains, qui ne le digèrent pas et n’en ont pas besoin. Il fallait y penser, c’est fait. Ce matin sur France Inter, un certain Lionel Zinsou a soulevé l’admiration des journalistes de la station en exposant son projet d’abreuver de laitages 60 millions d’Africains de l’ouest. Un projet, explique ce monsieur avec des accents lyriques, qui permettra de créer des emplois et d’apporter un revenu au producteur de lait noir. Mais bon, (z) un sou est un sou et Lionel Zinsou, banquier d’affaires de son état, admet que ce projet est quand même « un peu industriel, un peu marketing ». Si peu d’ailleurs qu’il est porté par le groupe laitier Yoplait.
Il faut dire que les laitiers sont confrontés dans les pays occidentaux à une érosion de plus en plus nette de leur marché. Les consommatrices sont de moins en moins nombreuses à croire à leurs arguments éculés, et en particulier celles qui ont lu Santé, mensonges et propagande, le livre que j’ai publié l’an dernier avec Isabelle Robard. Les laitages, soutiennent les Danone, Nestlé, Yoplait, rendraient les os solides, mais alors comment expliquer que les pays les plus gros consommateurs battent des records d’ostéoporose ? Comment expliquer que les études publiées sur le sujet ne font apparaître aucun bénéfice chez les consommateurs ? Les laitages, ajoutent les producteurs, font maigrir. Mais alors comment expliquer que les seules études ayant mis ce phénomène en évidence sont précisément celles qu’on financé les producteurs de lait ? Et puis il y a tout le reste, les soupçons de plus en plus lourds sur les risques de diabète de type 1 chez l’enfant, le risque de cancer de la prostate et des ovaires chez l’adulte, le risque de Parkinson chez l’homme, le risque de sclérose en plaques, les maladies cardiovasculaires liées aux acides gras saturés et aux acides gras trans du lait.
Ce sont toutes ces joyeusetés que l’industrie laitière va maintenant apporter aux Africains, un vrai nouveau marché juteux à conquérir. Peu importe à Yoplait si les Africains ne digèrent pas le lait, puisqu’ils n’expriment plus après l’enfance l’enzyme lactase qui permet de métaboliser le sucre du lait, le lactose. (1) Pour eux, le lait, les yaourts, les desserts lactés seront forcément tendance puisque ça vient d’Europe. Peu importe s’ils n’ont besoin ni de lait, ni de calcium laitier pour avoir des os solides. L’ostéoporose est inconnue dans les pays africains, avec pourtant des apports en calcium jusqu’à 4 fois moins élevés que dans les pays occidentaux. Avec l’arrivée prochaine des laitages, nul doute que cela va changer : je suis prêt à prendre les paris sur une montée prochaine des fractures du col du fémur (un nouveau marché s’ouvre du même coup pour les médicaments de l’os, les ostéodensitomètres, etc…)
Pour Lionel Zinsou, probablement gagné par l’enthousiasme de Yoplait « les produits laitiers, c’est la chose la plus universelle dans la consommation mondiale. » Sauf que les Africains jusqu’ici étaient épargnés. Les Asiatiques aussi. Plusieurs milliards d’estomacs à conquérir, cela donne le tournis dans les multinationales laitières.
Sur France Inter, ce matin, les journalistes ont trouvé cette initiative vraiment « intéressante. » Vraiment, en effet.
(1) Solomons NW : Lactose and its implications in gastroenterology. Nutrition and food sciences. Rev Invest Clin 1996, 48 S:1-13
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire